Sols pollués – Pollution antérieure à la date prévue pour la transposition de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale
La Cour de Justice est interrogée par question préjudicielle d’une  juridiction italienne sur l’interprétation du principe pollueur-payeur  au regard de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité  environnementale.
 
 L’affaire au principal concerne la région du Priolo Gargallo (Sicile),  déclarée «site d’intérêt national aux fins de la ‘bonification’», et,  plus particulièrement, la rade d’Augusta. Celle-ci est affectée par des  phénomènes récurrents de pollution environnementale dont l’origine  remonterait déjà aux années 60, lorsque le pôle Augusta-Priolo-Melilli a  été créé en tant que pôle pétrolier. Depuis lors, de nombreuses  entreprises, actives dans le secteur des hydrocarbures et de la  pétrochimie, se sont installées et/ou se sont succédées dans cette  région.
 
 La zone a fait l’objet d’une «caractérisation» visant à évaluer l’état  des sols, des nappes phréatiques, de la mer côtière et des fonds marins.  Les entreprises établies dans le pôle pétrochimique, en leur qualité de  propriétaire des zones industrielles terrestres comprises dans le site  d’intérêt national, ont présenté des projets de sécurisation d’urgence  et de «bonification» de la nappe, lesquels ont été approuvés par décret  interministériel.
 
 Par différentes mesures successives et en raison du retard dans  l’exécution des projets d’intervention qu’elle reprochait aux  entreprises concernées, l’autorité publique compétente a ordonné  auxdites entreprises de procéder à la «bonification» et à la remise en  état des fonds marins de la rade d’Augusta et, notamment, au retrait des  sédiments contaminés présents dans celle-ci sur une profondeur de deux  mètres, sous peine, à défaut pour lesdites entreprises de s’exécuter,  que lesdits travaux soient effectués d’office, à la charge et aux frais  de ces dernières. Il a également été décidé de compléter les mesures  précédemment approuvées par la réalisation d’un confinement physique de  la nappe. 
 
 Affirmant qu’un tel ouvrage était irréalisable et les exposait à des  coûts démesurés, les entreprises concernées ont introduit des recours  contre lesdites décisions administratives devant la juridiction de  renvoi. Par jugement n° 1254/2007, du 21 juillet 2007, cette dernière a  accueilli lesdits recours en considérant que les obligations de  «bonification» étaient illicites, car il n’avait pas été tenu compte,  lors de la prescription de celles-ci, du principe du pollueur-payeur ni  des règles nationales qui régissent les procédures de «bonification» non  plus que du principe du contradictoire. En outre, aucun débat n’avait  eu lieu avec les entreprises en cause sur les conditions de réalisation  d’une telle «bonification».
 
 La juridiction de renvoi relève que la pratique de l’autorité publique  compétente, confirmée par le juge d’appel, consiste donc, en l’état, à  faire endosser aux entreprises qui opèrent dans la rade d’Augusta la  responsabilité de la pollution environnementale existante, sans faire de  distinction entre la pollution antérieure et celle actuelle ni procéder  à un examen de la part de responsabilité directe dans le dommage de  chacune des entreprises concernées.
 
 Envisageant une éventuelle évolution de sa jurisprudence dans le même  sens que celle de l’instance d’appel, la juridiction de renvoi relève la  situation particulière de la pollution propre à la rade d’Augusta. Elle  souligne en particulier qu’une pluralité d’entreprises de pétrochimie  se sont succédées dans la zone, de sorte qu’il serait non seulement  impossible, mais également inutile, de déterminer la part de  responsabilité respective de chacune d’elles, en particulier si l’on  considère que le fait de conduire dans le site contaminé des activités  en elles-mêmes dangereuses devait être considéré comme suffisant pour  retenir la responsabilité de ces entreprises.
 
 C’est dans ces conditions que le Tribunale amministrativo regionale  della Sicilia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les  questions préjudicielles suivantes :
 
 «1) Le principe du pollueur-payeur (article 174 CE […]) et les  dispositions de la directive [2004/35] doivent-ils être interprétés en  ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui confère à  l’administration le pouvoir d’ordonner à des entrepreneurs privés, du  seul fait que ceux-ci se trouvent être installés dans une zone polluée  depuis longtemps ou dans une zone limitrophe à la première et qu’ils y  exercent leur activité, de mettre en œuvre des mesures de réparation,  indépendamment de la conduite de quelque enquête que ce soit, propre à  déterminer le responsable de la pollution en cause?
 
 2) Le principe du pollueur-payeur (article 174 CE […]) et les  dispositions de la directive [2004/35] doivent-ils être interprétés en  ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui confère à  l’administration le pouvoir de faire porter la responsabilité de la  réparation du préjudice environnemental spécifique par le sujet,  titulaire de droits réels et/ou exerçant une activité entrepreneuriale  sur le site contaminé, en vertu du seul rapport de ‘présence’ dans  lequel le sujet lui-même se trouve (celui-ci étant un opérateur dont  l’activité est conduite à l’intérieur du site), c’est-à-dire sans avoir à  établir au préalable l’existence du lien de causalité entre la conduite  du sujet en question et l’événement qui est à l’origine de la  pollution?
 
 3) La réglementation communautaire prévue dans les dispositions de  l’article 174 CE […] et celles de la directive [2004/35] doit-elle être  interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale  qui, au-delà du principe du pollueur-payeur, confère à l’administration  le pouvoir de faire porter la responsabilité de la réparation du  préjudice environnemental spécifique par le sujet, titulaire de droits  réels et/ou d’une entreprise sur le site contaminé, sans avoir à établir  au préalable, outre le lien de causalité entre la conduite du sujet en  question et l’événement qui est à l’origine de la pollution, l’existence  de la condition subjective de l’intention dolosive ou de la faute?
 
 4) Les principes communautaires en matière de protection de la  concurrence prévus par le traité instituant la Communauté européenne et  les directives […] [2004/18], [93/37/CEE, du Conseil, du 14 juin 1993,  portant coordination des procédures de passation des marchés publics de  travaux (JO L 199, p. 54)] et 89/665/CEE [du Conseil, du 21 décembre  1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires  et administratives relatives à l’application des procédures de recours  en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux  (JO L 395, p. 33)], s’opposent-ils à une réglementation nationale qui  confère à l’administration le pouvoir de confier directement à des  sujets de droit privé (sociétés Sviluppo SpA et [Sviluppo]) des  activités de caractérisation, de conception et de réalisation de travaux  de ‘bonification’ – de réalisation d’ouvrages publics – dans les aires  domaniales, sans observer préalablement les procédures prescrites en  matière de marchés publics?»
 
 La Cour répond à ces questions de la manière suivante :
 
 Lorsque, dans une situation de pollution environnementale, les  conditions d’application ratione temporis et/ou ratione materiæ de la  directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril  2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la  prévention et la réparation des dommages environnementaux, ne sont pas  remplies, une telle situation relèvera alors du droit national, dans le  respect des règles du traité et sans préjudice d’autres actes de droit  dérivé.
 
 La directive 2004/35 ne s’oppose pas à une réglementation nationale  permettant à l’autorité compétente, agissant dans le cadre de cette  directive, de présumer l’existence d’un lien de causalité, y compris  dans le cas de pollutions à caractère diffus, entre des exploitants et  une pollution constatée, et ce en raison de la proximité de leurs  installations avec la zone de pollution. Cependant, conformément au  principe du pollueur-payeur, aux fins de présumer de la sorte un tel  lien de causalité, cette autorité doit disposer d’indices plausibles  susceptibles de fonder sa présomption, tels que la proximité de  l’installation de l’exploitant avec la pollution constatée et la  correspondance entre les substances polluantes retrouvées et les  composants utilisés par ledit exploitant dans le cadre de ses activités.
 
 Les articles 3, paragraphe 1, 4, paragraphe 5, et 11, paragraphe 2, de  la directive 2004/35 doivent être interprétés en ce sens que,  lorsqu’elle décide d’imposer des mesures de réparation de dommages  environnementaux à des exploitants dont les activités relèvent de  l’annexe III de cette directive, l’autorité compétente n’est tenue  d’établir ni une faute ni une négligence non plus qu’une intention  dolosive dans le chef des exploitants dont les activités sont tenues  pour responsables des dommages causés à l’environnement. En revanche, il  incombe à cette autorité, d’une part, de rechercher préalablement  l’origine de la pollution constatée, ladite autorité disposant à cet  égard d’une marge d’appréciation quant aux procédures, aux moyens devant  être déployés et à la durée d’une telle recherche. D’autre part, cette  autorité est tenue d’établir, selon les règles nationales régissant la  preuve, un lien de causalité entre les activités des exploitants visés  par les mesures de réparation et cette pollution.
